Entrevue d'auteur - Juillet 2021
Questions posées par Suzanna J. Linton, auteure de romans fantastiques (fantasy)
Entrevue traduite de l'anglais par Romaric Z.
Courte biographie
Je m’appelle Nicolas Lemieux et j’habite à Montréal avec ma compagne Marie-Claude dans un appartement au troisième étage avec vue imprenable sur une intéressante ruelle verdoyante.
Bien que le français soit ma langue maternelle, j'aime surtout écrire en anglais. Mon genre littéraire de prédilection est la science-fiction, principalement le space opera.
Je carbure à rêver des mondes étonnants, remplis d'une palette vive de personnages durs à cuire et singuliers qui se mêlent à toutes sortes de situations significativement peu ordinaires. Souvent cocasses, parfois inquiétantes, toujours palpitantes.
Je crois que les histoires ont le pouvoir de stimuler notre imagination de toutes les manières possibles. Elles élargissent notre vision du monde et nous donnent des outils pratiques pour vivre. Elles éveillent notre curiosité sur toutes sortes de sujets. Elles nous donnent soif de nouvelles explorations, de nouvelles méthodes pour voir le monde, de nouvelles réflexions et de nouvelles découvertes.
Lien pour télécharger « Berceau »
Questions et réponses
1. Nicolas Lemieux, qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir écrivain?
Au départ, je n’avais pas l’ambition de devenir écrivain et je n’avais pas nécessairement envie de « donner au suivant », mais c’est bien ce qui s’est passé avec le temps : pour moi, écrire mes propres livres est la meilleure contribution que je puisse imaginer apporter au monde.
Enfant, j’avais l’habitude de lire des histoires d’aventure. Une fois, lorsque j’avais huit ans, j’ai écrit un roman. Ça parlait d’un monstre mangeur de mica qui vivait dans un volcan actif. Très effrayant. J’ai écrit l’histoire en entier et j’étais fier de moi. Peu m’importait que le roman n’ait que quelques pages. Mais l’idée de devenir écrivain ne m’a jamais traversé l’esprit à l’époque.
Probablement dès le départ, la lecture était pour moi comme une expérience de réalité virtuelle, mais en mieux. C’était comme un plongeon profond, une immersion complète dans la réalité de l’histoire que je lisais. J’étais le protagoniste, je vivais l’histoire. Rien n’a jamais pu égaler ça pour moi.
Je me souviens avoir passé beaucoup de temps à la bibliothèque de mon école entre les cours, plutôt que d’affronter l’excitation des couloirs bruyants. La lecture m’accompagnait en permanence, et je l’ai gardée aussi proche que possible depuis, dans les bons et les mauvais moments.
Au cours de ce processus, il m’est arrivé de vouloir le faire moi-même : écrire un livre qui apporte à quelqu’un d’autre le même sentiment de réalité, d’émerveillement et de possibilités.
Je crois que cette idée est toujours restée en moi. Elle s’est même renforcée avec le temps.
Et puis un jour, j’ai réalisé que l’écriture avait aussi le potentiel d’inclure pratiquement toutes les activités que j’aimais. Fini le temps où j’aimais trop de choses pour mon propre bien!
Avec l’écriture, j'avais la possibilité de réunir les sciences et la musique, par exemple, qui étaient deux choses entre lesquelles j’avais un mal fou à choisir.
(Un excellent exemple serait le Songmaster (Les Maîtres chanteurs) d’Orson Scott Card). J’aimais la physique et l’astronomie, j’aimais chanter et jouer la comédie. Mais j’étais aussi fasciné par la biologie, la philosophie, l’archéologie, l’anthropologie et l’évolution, l’histoire et la géographie... et à peu près tous les domaines intermédiaires. Avec l’écriture, il m'est devenu possible de les visiter tous à tour de rôle, voire tous ensemble.
Les livres stimulent notre imagination de toutes les manières possibles. Ils élargissent notre vision du monde et nous donnent des outils pratiques pour vivre. Ils éveillent notre curiosité sur toutes sortes de sujets. Ils nous incitent à rechercher plus d’histoires, plus d’exploration, plus de façons de voir le monde, plus de réflexion et d’introspection, et plus de découvertes.
2. La nouvelle intitulée « Berceau » est-elle liée à votre travail en cours?
Tout à fait! « Berceau » est une scène qui a vu le jour lorsque je repensais la structure du roman, quelques temps après avoir terminé la première version du récit. C’est la toute première scène que j’ai présentée à mon éditrice spécialisée en developmental editing (Courtney Harrell, Development Editor) au tout début de notre collaboration.
À l’origine, je croyais que la scène « Berceau » se déroulerait vers le début du roman, peut-être même au tout début, moyennant quelques modifications. Par la suite, le projet de roman a beaucoup évolué, et l’histoire a changé en conséquence. Selon l'état actuel des choses, « Berceau » va se dérouler plus près de la fin du premier acte. C’est là que mon héroïne Anita est confrontée à sa première crise majeure, et à son premier choix très difficile.
3. Quel est le titre de votre travail en cours? Pouvez-vous nous en parler un peu?
Le titre provisoire (titre de travail) de mon roman en cours d’écriture est Sept à la dérive.
Il s’agit d’un space opera épique mettant en scène une ville spatiale à la dérive, une détective en herbe, des meurtres, des rebelles et un antique coffre à trésor en bois.
L’histoire a déjà subi plusieurs modifications. Elle est devenue de plus en plus solide et précise, à la fois dans mon esprit et sur la page. Le titre a évolué en même temps que celle-ci. À l'origine, c’était Qui a tué Felipe Crasotte? Puis c’est devenu Le dériviste. Aujourd’hui, le titre est Sept à la dérive.
En cours de processus, j’ai exploré différents genres littéraires qui ont rivalisé pour prendre le contrôle du récit. Au départ, il s’agissait d’une aventure d’action à intrigue de type « labyrinthe » avec une touche de mystère. Puis elle s’est transformée en un thriller avec tueur en série (tout en gardant un côté mystérieux). Puis j'en suis revenu à une histoire d’action, cette fois en mettant davantage l’accent sur les aspects de rébellion. Sans pour autant perdre l’humour et la légèreté de ton que le personnage d’Anita apporte à l’histoire.
Tous ces genres apparemment contradictoires sont restés présents en tant qu’intrigues secondaires, se développant en arrière-plan avec différents niveaux d’énergie. Mais en fin de compte, il s’agit simplement de structurer le récit autour du genre qui résonne le mieux.
4. « Berceau » fait allusion à un monde plus vaste où une faction pourrait tenter de mettre fin à un certain mode de vie. Est-ce inspiré d’événements réels?
Pas intentionnellement. Mais de nombreux parallèles pourraient être établis.
Imaginez un monde dominé par une puissance apparemment bienveillante, un monde où personne ne remet jamais en question les décisions et les choix qui ont fait de ce monde ce qu’il est aujourd’hui. Parce que les gens ont été amenés à croire le mensonge selon lequel il n’y avait pas d’autre option à l’époque.
La ville est ce qu’elle est : parfaite. C’est le meilleur endroit où vivre. Le fait qu’il s’agisse d’un vaisseau spatial en plein périple est devenu sans importance. Puisque nous ne pouvons plus voyager, autant en tirer le meilleur parti, n’est-ce pas? N’avons-nous pas tout ce dont nous pourrions jamais rêver ici et maintenant? À quoi bon retrouver le reste de l’humanité? Ne sommes-nous pas mieux installés sans avoir à entrer à nouveau dans les guerres, les conflits et la misère qui accompagnent le genre humain?
5. Quelle est la partie la plus difficile du métier d’écrivain ou du processus d’écriture?
Je dirais que l’un des défis consiste à gérer les changements de contexte constants et continus. J’écris pendant une heure, puis je vais au travail. J’essaie de me remettre à l’écriture pendant l’heure du midi, ou encore le soir. Certaines semaines, il y a trop d’autres choses à faire et il m’arrive de passer plusieurs jours sans voir mon projet d’écriture. Je dois alors me familiariser à nouveau avec lui. J’ai l’impression de recommencer sans cesse. Ça demande une somme considérable d’énergie cérébrale.
Un autre défi pour moi est de ne pas laisser l’histoire comme telle devenir trop complexe. J’adore les histoires complexes. Je m’en délecte. Le revers de la médaille est que le projet devient comme un gigantesque casse-tête qui nécessite beaucoup d’organisation, et aussi beaucoup de temps. D’un autre côté, c’est exactement ce pour quoi je me suis engagé dans ce genre de projet.
6. Quels sont les livres qui vous ont le plus influencé, vous et votre écriture?
Adolescent, je lisais des classiques de la littérature, bien sûr. Mais aussi des classiques de la littérature jeunesse de l’époque.
Bob Morane en est un excellent exemple.
(Remarque : J’étais adolescent dans les années 80, mais les premiers livres de Bob Morane ont été publiés dans les années 50. Et tout à l’heure, j’ai appris par une simple recherche que la série se développe encore et toujours aujourd’hui! En 2012, l’auteur d’origine Henri Vernes a commencé une collaboration avec l’auteur Gilles Devindilis, qui a alors été désigné pour poursuivre les nouvelles aventures de Bob Morane.)
(Henri Vernes est malheureusement décédé en juillet 2021, quelques jours à peine après la parution de cette entrevue dans la newsletter de Suzanna J. Linton, auteure de fantasy.)
Morane était ce héros français, parcourant le monde et bien au-delà à travers des centaines de petits romans évoquant une merveilleuse variété de genres. Ces livres mettaient en scène des actions d’espionnage à la James Bond, des explorations dans la jungle, des chasses aux nazis après la Seconde Guerre mondiale, des voyages dans l’espace-temps, des aventures spatio-temporelles avec dinosaures, chevaliers et ménestrels. Des histoires avec des éléments de fantasy, ou encore des mondes parallèles. La seule constante était que Bob Morane ne manquait jamais de se retrouver dans la situation la plus impossible que vous puissiez imaginer.
J’ai lu plus de 230 romans de Bob Morane avant de passer à autre chose. (J’ai gardé une liste).
Bob Morane fut également mon premier contact avec la science-fiction.
Au fil des ans, j’ai découvert de nombreux autres auteurs et histoires. L’Île au trésor de Stevenson, Les séries d'Asimov Fondation et Les Robots. Les livres d'A.E. Van Vogt. Philip Jose Farmer. Michel Tournier. J’en oublie.
Plus récemment : Cryptonomicon, Snow Crash (Le Samouraï virtuel), Diamond Age (L’Âge de diamant), The Baroque Cycle et Seveneves de Neal Stephenson. Et puis, les livres d’Alastair Reynolds : Les séries House of Suns, The Revelation Space (L’Espace de la révélation) et Blue Remembered Earth (La Terre bleue de nos souvenirs). Sans oublier, Outlander (Le Chardon et le Tartan) de Diana Gabaldon, ainsi qu’une tonne de « cosy mystery » avec Alexander McCall Smith. La série Harry Potter. Je dois également mentionner que j’ai vécu l’un des meilleurs moments de lecture de ma vie, et des plus influents, avec le Song of Ice and Fire (Le Trône de fer) de George R.R. Martin.
7. Avez-vous une routine ou un rituel d’écriture?
Difficile à dire!
À la fin des années 2010, je vous aurais dit que j’étais passé maître dans l’art de la routine. J’écrivais généralement une heure le matin avant d’aller au travail, puis une autre heure pendant l’heure du midi, à peu près tous les jours. Je planifiais au moins deux soirées d’écriture par semaine, parfois trois. Selon mon niveau d’énergie, ces séances nocturnes d’écriture pouvaient durer entre une heure et demie et trois heures. Je prenais souvent un vendredi de congé pour écrire davantage, ou un lundi, où je me fixais pour objectif d’écrire pendant au moins cinq heures, parfois jusqu’à neuf. Le week-end, je devais me contenter de trois à quatre heures en avant-midi, après quoi il fallait gérer tout le reste de la vie en un temps très court...
Mais maintenant, nous sommes en 2021, et 2020 a été une longue année. J’ai dû faire quelques ajustements. Travailler à la maison aurait dû me donner plus de temps, mais pour une raison incompréhensible, il me semble en avoir moins - ou s’il ne s’agit pas exactement de moins de temps en réalité, j’ai certainement un sommeil de moindre qualité qu’avant, et moins d’énergie au total.
J’essaie toujours de me lever tôt et d’écrire avant d’aller travailler, mais ça me paraît plus difficile à réaliser de nos jours, même si mon lieu de travail n’est plus qu’à sept pas de notre cuisine. Il me semble également plus difficile d’écrire pendant l’heure du midi, car depuis que je suis à la maison, je préfère passer un peu de temps de qualité avec ma compagne, par exemple en dégustant un bon repas et en profitant de quelques minutes de détente. Je continue cependant à programmer des soirées d’écriture, ainsi que des séances matinales le week-end, ainsi qu’un vendredi ou un lundi occasionnellement consacrés à l’écriture intensive.
Moins de temps d’écriture au final, mais également, besoin de plus de repos.
Pourtant, j’ai le sentiment que la qualité est plus importante que la quantité lorsqu’il s’agit de temps d’écriture. Et si je pouvais accomplir autant en sept à douze heures par semaine aujourd’hui, qu’en quinze à vingt heures avant la pandémie?
8. Où écrivez-vous le plus souvent?
Avant les années 2020, tous les jours à l’heure du midi, j’essayais de trouver un coin tranquille dans l’un des cafés du Vieux-Montréal près de mon lieu de travail. Ce n’était pas une mince affaire, compte tenu de la foule d’employés de bureau et de touristes qui ne manquaient jamais d’envahir l’endroit, été comme hiver. Je trouvais rarement un endroit calme, mais je me bouchais les oreilles avec des écouteurs et me créais une sorte de bulle d’isolement musical.
À la maison, mon endroit préféré est un antique fauteuil à bascule en bois (trop petit pour moi!), tout près de la fenêtre dans le coin de mon bureau. Une vieille chaise berçante à peine confortable, mais chargée d’un caractère excentrique et évocateur d’une autre époque. J’aime m’asseoir près de la fenêtre de mon appartement situé au troisième étage, qui donne sur la ruelle. Je l’appelle mon nid d’aigle. J’aime m’y percher avec un stylo et du papier, ou encore mon vieil ordinateur portable. Mais je ne peux pas rester niché là trop longtemps sans que mon dos et mon derrière se rappellent à mon attention, alors je passe à mon bureau.
Mon bureau n’est en fait qu’une table Ikea d’occasion à laquelle j’ai ajouté un plateau coulissant pour clavier. Je l’adore. J’allume mon ordinateur - je n’aime pas toujours le faire, car c’est aussi mon lieu de travail, et j’ai l’impression de passer un temps fou assis sur cette même chaise, à regarder le même écran d’ordinateur - et ne vous méprenez pas; j’adore mon travail de jour; ma carrière en informatique est stimulante, propice à la croissance et mentalement nutritive.
Mais dès que je commence à travailler sur mon projet d’écriture, je redeviens un écrivain, et l’endroit où je suis assis cesse d’avoir la moindre importance.
Avant de partir...
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