J'avais lu quelque part que parfois, c'est une bonne idée de travailler sur deux projets différents en même temps...
Deux projets à la fois: le second peut nourrir le premier. Le premier peut procrastiner avec le second. Ou quelque chose du genre. J'ignorais si ça allait m'être utile, mais j'allais certainement essayer.
Je travaillais déjà sur un projet de roman depuis un certain temps. Je l'appelais Marées de Cathédrales. L'intrigue se déroulait dans un futur éloigné, sur une planète nommée Cathédrales... une planète aux marées considérables, présumément. Notez bien, ce titre est toujours en évolution, tout comme l'histoire à laquelle il se colle, même à ce jour. Mais c'est une autre histoire.
Une autre histoire. Exactement.
J'aime m'amuser avec de nouvelles idées. Peut-être que c'est arrivé durant mes pages du matin, peut-être pas, mais quelque chose de neuf est apparu de nulle part. Juste pour jouer, par pur plaisir: une petite bribe, un fragment, possiblement le début d'une nouvelle histoire, une introduction. J'ignorais à l'époque ce que ça donnerait, et je n'avais pas besoin de le savoir tout de suite.
J'aime appeler ce petit texte par ses premiers mots: "Ainsi, ils partirent". Éventuellement, "Ainsi, ils partirent" permit de jeter les premières bases de mon projet de roman en cours, Sept à la dérive. Pas nécessairement le texte lui-même, mais l'idée qui se trouve derrière.
J'en mets une copie ici - voir plus bas. Vous le trouverez tel quel - ou plutôt, presque inchangé, avec à peine quelques retouches (et sans oublier, ma récente traduction de l'anglais au français).
On doit toujours gérer ses attentes lorsqu'on écrit un premier jet. Même chose ici: ça tourne en rond au début, ça cherche où aller avant de trouver son rythme. Et à la fin, sans savoir où aller par la suite, ça crée une petite ouverture, une possibilité d'histoire à suivre.
"Ainsi, ils partirent" n'était rien d'autre qu'un petit bout de prose désordonnée, mais je l'aimais bien quand même. Il devait bien avoir un petit quelque chose qui marchait pour moi, puisque mes idées se mettaient à bouillonner dès que je le relisais.
Mais je ne voulais pas considérer "Ainsi, ils partirent" comme une nouvelle en soi. Non, mais plutôt comme un bout de narration sans attache, comme si quelqu'un présentait une histoire: un genre de prologue, ou quelque chose du genre. Quoi qu'il en soit, j'avais l'impression que je pourrais peut-être y rattacher quelque chose d'intéressant.
Peu importe le niveau débutant, et peu importe ce que je choisirais d'en faire, j'ai décidé d'être fier de mon petit bout d'intro. Je l'ai laissé percoler quelque part dans un coin de ma tête, et sur mon disque dur. Mais j'étais définitivement accroché. Je me disais que le petit fragment de début d'histoire avait du potentiel. Je voulais en faire quelque chose.
Des mois plus tard, une autre idée s'est formée : et si ce bourgeon d'histoire constituait en fait le passé, et même la raison d'être, de l'autre projet de roman sur lequel je travaillais déjà?
J'ai senti l'excitation monter! Je pourrais avoir deux fils narratifs, l'un dans le passé de l'autre. (Disons, quelques siècles plus tôt.) Le passé ("Ainsi, ils partirent") pourrait renseigner le présent (Marées de Cath) de toutes sortes de manières fascinantes. Bien sûr, une autre option serait tout simplement d'opter pour une série de romans.
Encore une fois mes chers amis, ceci est une histoire pour un autre jour.
Note: S.V.P. Gardez en tête que le petit texte que vous vous apprêtez à lire, "Ainsi, ils partirent", est venu bien avant tout le reste du travail sur mon projet en cours, Sept à la dérive. Mon projet actuel de roman a beaucoup évolué depuis. Beaucoup! Et ça continue à évoluer rapidement, et ça promet de continuer à évoluer énormément avant d'en arriver à s'approcher d'un état où le roman serait prêt à être lâché dans la nature. Ne prenez donc rien pour acquis! (Par exemple, le personnage principal de Sept à la dérive, la protagoniste, n'est même pas mentionnée dans "Ainsi, ils partirent". Elle est apparue bien plus tard dans le processus créatif.
Et sans plus attendre...
Bonne lecture.
Ainsi, ils partirent. Ils prirent leur congé. Prière de de ne plus contacter. Plutôt romantique. Et ils bâtirent une cité de verdure et de verre. La cité flotta sur place durant quelques siècles, puis s'éleva majestueusement vers les cieux et partit. On dit que la cité accéléra de manière constante pendant cent ans, puis se retourna, et s'efforça d'accélérer en sens inverse pendant un autre cent ans pour ralentir. Après deux siècles, ils en étaient de retour à une vitesse lente, mais dans un voisinage différent.
Le problème, c'est qu'il n'y avait rien, là où ils s'étaient retrouvés. Ils flottaient au beau milieu de nulle part et rien d'autre, sans aucun soleil à l'horizon et sans moyen de repartir, puisque le moteur principal de la ville-vaisseau était endommagé.
Se réveillant d'un long sommeil de deux siècles, le maire se demanda si le plan avait mal tourné. Mais non, ils étaient exactement là où ils avaient planifié d'aller. Sauf qu'il n'y avait rien, de toute évidence. Quelques douzaines de débats et commissions d'enquête plus tard, et même des élections, et de nombreuses démissions... le fait demeurait tout autour de la ville: on flottait dans le néant.
Vint un temps où les gens se firent à l'idée de vivre leur vie comme ils l'avaient toujours fait, au sein de leur ville magnifique et adorée au beau milieu de nulle part. Ils la transformèrent et la firent tourner sur elle-même, la dotant d'une douce illusion de gravité rotationnelle. Avec des réserves quasi infinies d'énergie, tirées des ressources environnantes telles que vents stellaires de longue portée, mousse quantique et fusion tokamak, ils ne manqueraient jamais de rien. Qui aurait eu l'idée de se plaindre?
Une fois éliminée l'idée de jamais voyager à nouveau, la tension retomba et la paix revint. Les gens tournèrent leur attention vers des choses plus intéressantes. Politique, scandales sexuels, arts, divertissements, bonne bouffe.
Seuls restèrent quelques sceptiques pour réfléchir de temps en temps à la situation. Felipe Crasotte était l'un d'eux. Il n'arrivait pas à accepter tous les faits: le voyage était censé les amener vers un nouveau monde idéal, mais en fin de compte, le rendez-vous était manqué. Que s'était-il passé? Rien dans le journal de navigation, rien ne suggérait un changement de plan. Selon le journal, ils étaient exactement là où ils avaient visé. Mais où était l'étoile attendue, avec son système planétaire accueillant? Disparue sans laisser de trace? Cachée aux yeux de la ville, et à tous ses systèmes sensoriels?
Crasotte, à l'abri de sa brillante carrière d'artisan, caché dans son arrière-boutique, dissimula son travail sous des piles de matériaux de travail, et passa ses nuits à ruminer sur les journaux de navigation et les données historiques. Il passa en revue toutes les intrigues d'avant le départ, toutes les intrigues du voyage, et toutes les intrigues actuelles. Des intrigues à toutes les époques et à tous les niveaux, partout, et sur tous les sujets possiblement reliés à la ville: sa conception, sa naissance, son existence même, sa destination, sa population, sa raison d'être et son but. Et surtout, sa vie politique.
De nombreuses données avaient tendance à s'effriter dès qu'on les observait, un peu comme si elles avaient été plantées à posteriori. D'autres avaient été modifiées, supprimées, re-créées, truffées de détecteurs, ou programmées pour changer d'elles-mêmes périodiquement. Tout un bordel. Mais à force de temps et d'attention, Crasotte en arriva à jeter un peu de lumière sur certains aspects qui lui avaient échappé pendant des années.
Et puis il mourut. Subitement, dans un accident. Sa succession récupéra ses recherches, qu'il avait cachées dans ce coffre en bois, fabriqué de ses propres mains...
"... Sur le coffre sont sculptées des scènes du rassemblement, de la naissance de la ville, de l'exode, du point central avec tous ses dangers, des révoltes, de la réforme et de l'âge nouveau. Regardez bien, elles sont partout, et même tout en bas, près du fond."
Les scènes y étaient, en effet.
"Vous êtes dorénavant l'héritière de tous les biens familiaux. La dernière arrière-petite-fille—"
“Madame... Crasotte, où voulez-vous mettre l'héritage? Dans votre grenier?“
C'est ainsi que Leona Crasotte mit la main sur le coffre au trésor de son arrière-grand-père Felipe. Un travail hors pair d'artisan. La serrure en particulier était magnifique, quasi magique. Sans la clef, impossible d'ouvrir le coffre sans détruire tout le contenu, et probablement une partie du voisinage dans la foulée.
Leona Crasotte réfléchit très longtemps. Elle appréciait la dextérité des gravures, elle admirait leur couleurs vives. Finalement, elle finit par recouvrir le coffre d'un drap, surmonté d'un assortiment de planches de bois—une porte recyclée, qui devint la longue table basse de sa plus grande salle de séjour.
"Entre tes mains se trouve la vérité sur la cité que nous aimons tant. Donne-lui le respect qu'elle mérite." Tout à fait d'accord, mais d'un autre côté, elle ne savait pas trop quoi en faire.
Avec le temps, elle oublia les batailles de son arrière-grand-père, et son testament.
Les années passèrent.
Jusqu'au jour où elle rencontra votre ami.
Que voulez-vous, il était grand, il était sombre. Plutôt élégant dans le genre buriné... avec une dose de mystère au fond des yeux.
Avant de partir...
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Le 2 février 2021, Marie-José Trudel a commenté :
"Très facile pour moi d'embarquer à bord de ce texte! J'ai hâte à la suite!"